Compliqué
L'adjectif "compliqué" jouit en ce moment d'une faveur remarquable. On le préfère à "difficile", "ardu", "problématique", et tous leurs synonymes.
Lorsqu'une journaliste d'Arte, à propos d'une vidéo anti-austérité censurée outre-Rhin, dit que pour les allemands "c'est très compliqué de la voir sur You Tube", l'usage du mot est encore adéquat. En effet, s'il y a blocage, il faut sans doute se livrer à une série d'opérations "compliquées" pour arriver à visionner la chose.
Mais sur radio-évasion il y a quelques jours, quand le présentateur chargé de l'état du trafic déclare que "c'est très compliqué ce matin" à cause de la neige, là, on sent que le sens dérape. Rouler sur la neige, compliqué ? Non. Difficile, risqué, dangereux si l'on veut, mais pas compliqué.
Une enseignante, lors d'une réunion, estime que pour ses élèves, "la motivation est un petit peu compliquée" (19/11/12); le maire de Sevran, au Grand Journal de Canal +, parle ainsi de la banlieue où il exerce son mandat : "On est dans des territoires compliqués" (06/12/12); et aux informations de France Culture, un spécialiste affirme avec raison qu'il est "très compliqué d'avoir une réponse des recruteurs, pour un chômeur de plus de 50 ans" (27/11/12).
Dans tous ces cas, il me semble que d'autres mots seraient préférables, particulièrement quand des souffrances humaines sont en jeu. Les élèves en difficulté, les habitants des banlieues défavorisées, les chômeurs d'âge avancé, tous ces gens-là connaissent bien autre chose que des situations "compliquées". L'emploi de ce mot relève souvent de l'euphémisme. Je n'ai pas eu l'occasion de le relever, mais je ne serais pas étonné que de temps à autre, on entende dire dans les médias que la situation en Afghanistan ou en RDC est "compliquée".